Bien expliquer le concept de l’excellence du rendement dans le domaine chirurgical n’est pas chose simple, et ce qui définit précisément une personne hyperperformante peut faire l’objet de débats. Cela dit, on retrouve souvent les éléments suivants : une excellente capacité à résoudre des problèmes, une communication efficace, de l’autonomie, une capacité d’adaptation, de la flexibilité et une motivation intérieure ferme. En règle générale, les personnes hyperperformantes maintiennent une attitude positive, sont axées sur l’atteinte des objectifs, font preuve d’une grande constance dans les efforts qu’elles déploient, sont ouvertes à la critique constructive de sources fiables ou de confiance, possèdent un ensemble de compétences établies dans un domaine spécifique, saisissent fréquemment des occasions de croissance professionnelle, et terminent toujours les projets qu’elles commencent. Bien qu’il soit rare que l’on ait accès à une liste officielle des personnes hyperperformantes de nos services de chirurgie et de nos spécialités, la plupart des spécialistes de la chirurgie savent qui sont ces personnes hautement productives et motivées. De plus, les personnes hyperperformantes sont presque toujours connues pour leurs accomplissements concrets et leurs compétences à l’échelle non seulement locale, mais aussi nationale et internationale.
Le rendement individuel fourni dans un grand groupe ne suit généralement pas une courbe de distribution normale (comme une courbe en cloche). Pour la plupart des organismes, la distribution de « loi de puissance » ou « à longue traîne » correspond à des cadres de rendement beaucoup plus près de la réalité (figure 1). Autrement dit, seulement quelques personnes sont réellement hyperperformantes. De même, la plupart des gens fournissent un bon rendement, et un nombre moindre, un faible rendement. Il est aussi évident que l’arrivée ou le départ de seulement quelques personnes hyperperformantes peut complètement transformer une culture organisationnelle.
Les entreprises qui réussissent accordent une attention particulière à ces rares personnes, car elles représentent un pourcentage très élevé de la production totale, et donc de la valeur globale du groupe ou de la société. Il est intéressant de noter que cette approche est aussi pertinente et utilisée dans des domaines autres que celui des affaires, comme en ingénierie, en vente et en sport. En d’autres mots, puisque le rendement humain ne suit pas une courbe de distribution normale, la plupart des gestionnaires d’entreprise très avisés se rendent compte que les personnes hyperperformantes sont celles que l’on veut recruter, garder et affecter à des postes de responsabilité.
Dans le domaine chirurgical, le concept a été particulièrement bien démontré grâce à des évaluations nationales ciblées qui ont brossé le tableau des spécialistes de la chirurgie orthopédique et des spécialistes de la chirurgie générale1,2. Plus précisément, une vaste étude menée auprès de spécialistes de la chirurgie orthopédique ayant exercé une grande influence dans ce domaine a montré que la productivité universitaire (soit la publication prolifique d’études ou de chapitres de livres évalués par les pairs et la révision de manuels ou de revues) était constante parmi les spécialistes de la chirurgie à l’intérêt marqué pour le perfectionnement personnel et les nouvelles possibilités1. Malgré les fortes contraintes de temps et les pressions extrêmes de leur environnement, ces spécialistes de la chirurgie ont manifesté de hauts degrés de santé, de bonheur et de satisfaction professionnelle; aussi, curieusement, rares sont les médecins qui ont parlé des gains financiers comme motif important à leur travail1. Dans la cohorte de chirurgie générale, 36 des 357 spécialistes de la chirurgie générale sont à l’origine d’environ 50 % des publications universitaires et des citations diffusées au pays2. Notamment, une poignée de spécialistes de la chirurgie générale de l’ensemble des données de l’étude a été exclue de l’analyse formelle, car ces personnes, déjà classées dans la cohorte hyperperformante, ont fait preuve d’un niveau extrême d’hyperperformance et auraient ainsi faussé les données2. Même si une grande partie de cet impressionnant rendement universitaire découle directement de l’autodiscipline et des occasions saisies et créées, il est certain que les contrats de travail (c.-à-d., le fait d’avoir des attentes définies au moment de l’embauche), les mandats de recherche des départements et des établissements, un soutien financier, de l’investissement en temps et l’obtention d’un diplôme d’études supérieures (maîtrise ou doctorat) contribuent également au succès professionnel de ces personnes hyperperformantes du milieu universitaire2. Il est aussi intéressant de noter que l’obtention d’un diplôme d’études supérieures devient une exigence bien plus souvent imposée, probablement un résultat direct de ces constatations, pour les départements de médecine du pays désireux d’offrir des performances universitaires exceptionnelles et un niveau d’excellence global2. Toutefois, l’aide financière institutionnelle traditionnelle offerte à l’échelle universitaire ou départementale ne concorde pas souvent avec la productivité universitaire réelle à long terme (subventions de recherche versées en début de carrière sans engagements de livraison ou postes d’attachée ou attaché d’enseignement clinique à temps complet du service de chirurgie avec salaire et à-côtés alléchants et permanents).
Même s’il est important d’étudier les caractéristiques des spécialistes de la chirurgie qui hyperperforment à l’université sur le plan individuel et organisationnel, il en va de même pour l’excellence clinique. Toutefois, si l’objectif est de fournir un rendement pédagogique supérieur, il sera nécessaire de bien revoir ces concepts de rendement à long terme, à tous les échelons. Par exemple, de la chirurgie générale, il est clair que le rendement universitaire global des spécialistes de la chirurgie embauchés après 2013 est inférieur à celui de celles et ceux embauchés plus tôt2. La détérioration de la productivité a également été confirmée dans certaines surspécialités, comme la chirurgie traumatologique3. Bien que l’on puisse débattre sur les causes culturelles de ce phénomène, la grande question reste à savoir comment rétablir des environnements qui soutiennent et promeuvent l’excellence chirurgicale dans les universités au Canada. L’objectif est de créer un écosystème où les hautes performances sont la norme, et non l’exception. Il faudra également que les leaders du milieu chirurgical cherchent activement une manière de faire briller les médecins en formation et leur faculté. Plus précisément, les services, les unités de soins et les spécialistes de la chirurgie en tant qu’individus doivent comprendre, définir et mesurer les hauts rendements dans toute leur diversité, avec comme but de créer un environnement dans lequel chaque spécialiste de la chirurgie privilégie son développement et participe constamment aux performances élevées dans le but d’appuyer la vision du groupe et de la profession. Comme ailleurs dans la vie, il faut sortir de sa zone de confort pour maîtriser un domaine, que ce soit en tant qu’universitaire au rendement élevé ou en tant que leader du milieu chirurgical.
Dans un monde parfait, tous les spécialistes de la chirurgie deviendraient hyperperformants un jour. Toutefois, cela ne peut se faire que si elles et ils peuvent tirer le meilleur parti de leur fonction, le tout dans un environnement où le nombre de personnes au sommet de la courbe (le quota d’hyperperformance) ne connaît aucune limite. Il faut également déployer de réels efforts pour faire correspondre nos compétences, nos intérêts et nos buts. Stimuler de manière générale l’hyperperformance des spécialistes de la chirurgie demande de la modestie; il faut aussi reconnaître que plusieurs d’entre elles et eux ont le potentiel de devenir des personnes hyperperformantes, et ce, dans différents domaines. Comme toujours, le défi consiste à éveiller une motivation et une persévérance durables chez les médecins en formation et dans les facultés en vue de susciter un bon rendement universitaire. Effectuer le travail de réflexion, de rédaction, de révision, d’apprentissage et de résilience dans une simple optique de curiosité et de créativité devrait définir notre mission, soit de soutenir ces personnes hyperperformantes qui sont nos collègues d’aujourd’hui et d’encourager les autres à suivre leurs pas4. Tandis que plusieurs entreprises prospères et novatrices l’ont déjà compris, en chirurgie et en médecine, les possibilités de croissance s’offrent à nous.
Footnotes
Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne ou ses filiales.
Intérêts concurrents: E.J. Harvey est cofondateur et responsable de l’innovation médicale de NXTSens Inc.; cofondateur et médecin-chef de MY01 Inc. et de Sensia Diagnostics Inc.; et cofondateur et directeur de Strathera Inc. Son établissement bénéficie du soutien de J et J DePuy Synthes, Stryker, MY01 et Zimmer. M. Bhandari est membre du comité de rédaction du Journal of Bone and Joint Surgery et membre du conseil d’administration d’OrthoEvidence. S.M. Hameed est le fondateur de T6 Health Systems. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
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