On le sait, il y a un historique d’écart salarial entre hommes et femmes en médecine. Apparemment, nous tardons à rectifier la situation. Un article1 publié récemment ne fait que démontrer à quel point il reste du chemin à faire.
Au Canada, le problème est connu2, et au sud de la frontière, l’écart est abyssal; chez les médecins américains, une femme gagne environ 2 millions de dollars de moins qu’un homme sur une carrière de 40 ans, valeur tenant compte des facteurs déjà utilisés comme explication pour les différences de revenu3. Parmi ces facteurs, notons le nombre d’heures travaillées, le revenu de médecine clinique, le type de pratique et la spécialité. Les femmes médecins ne travaillent pas moins d’heures au Canada — du moins, pas dans une proportion assez grande pour expliquer un tel écart salarial. Selon l’enquête4 de l’Association médicale canadienne auprès de l’effectif médical en 2019, les femmes ne travaillent que 4,7 % moins d’heures par semaine que les hommes et sont de garde 8,6 % moins souvent — des différences négligeables par rapport à la disparité des revenus. Les nouvelles données canadiennes en disent long. Après certains rajustements relatifs à la démographie et au nombre d’heures travaillées par semaine, les femmes médecins gagnent environ 9 % moins que leurs confrères1. Une étude nationale2 dénote que l’écart salarial ajusté est légèrement plus grand chez les spécialistes que chez les médecins de famille (10,2 % c. 8,5 %). Les écarts varient même d’une province à l’autre : au Manitoba, l’écart salarial moyen ajusté entre hommes et femmes est le plus grand au pays, à 19,8 %, tandis que le plus petit écart est au Québec, à 6,6 %2. L’étude repose sur une approche vraiment unique, où les dossiers fiscaux de l’Agence du revenu du Canada et les frais généraux associés à la pratique ont également servi à calculer ces écarts, et pas seulement la facturation brute. De plus, l’équipe de recherche a pu apporter des ajustements liés à l’effort de travail (nombre d’heures et de semaines de travail) et à d’autres facteurs. En réalité, les femmes médecins au Canada ont gagné moins d’argent que les hommes comparables dans tous les aspects de la répartition des gains, l’écart se creusant à mesure que le salaire augmente2. Cette observation peut aussi refléter la sous-représentation des femmes médecins aux postes de gestion — un problème déjà connu. Les auteurs ont formulé l’hypothèse que les différences interprovinciales pourraient s’expliquer par la quantité et le type de services non rémunérés à l’acte (c.-à-d. par capitation, par salaire) et par la structure interne d’établissement de la rémunération. Il s’agit là de facteurs qui pourraient être pris en compte ou du moins analysés pour appuyer l’hypothèse1.
En général, on ne peut utiliser l’excuse classique du nombre d’heures travaillées pour expliquer l’écart salarial entre les genres; ce sont plutôt les préjugés systémiques qui sont en cause : dans les facultés de médecine, les processus d’embauche, l’attribution des promotions, les dispositions de soins cliniques, les mécanismes de rémunération des médecins et les structures générales de la société. Le taux de femmes médecins augmente et a d’ailleurs monté en flèche au Canada, passant de 11 % en 1978 à 43 % en 20182. Parmi les médecins pratiquant 1 des 10 spécialités les mieux payées (en salaire brut et net), moins de 35 % sont des femmes; inversement, les femmes médecins occupent 47 %, 48 % et 62 % des postes parmi les 3 spécialités les moins lucratives (selon les estimations en salaire net), soit la médecine familiale, la psychiatrie et la pédiatrie2. Espérons que le nombre grandissant d’étudiantes en médecine viendra changer ces chiffres.
Les préjugés ancrés dans la structure de demandes de consultation peuvent également entretenir cet écart. Les dossiers complexes qui nécessitent plus de discussions et moins d’interventions sont souvent transmis à des femmes médecins dans certains systèmes. Les dossiers impliquant de grandes chirurgies ou des spécialités techniques vont possiblement du côté des hommes. Une analyse tenant compte des codes de facturation provinciaux permettrait de corroborer cette observation. Pourtant, des politiques d’équité des genres sont en place, en plus d’autres mécanismes relatifs à la rémunération et aux conditions de travail. Nous pourrions avoir une discussion interminable sur les stratégies des organismes provinciaux et fédéraux pour réduire l’écart entre les genres, mais les nouvelles statistiques montrent que les femmes médecins sont encore laissées pour compte au Canada. Une étude plus objective et granulaire, par établissement ou par système, s’impose absolument pour mieux comprendre les facteurs sousjacents et les influences en cause. Cet article ne se veut pas un discours woke; il s’agit d’une simple observation d’iniquité. Étant donné la grande diversité des systèmes de soins de santé et des plans de remboursement des médecins d’un bout à l’autre du pays (p. ex., salarié ou rémunération à l’acte, structures de primes, services attendus ou services dus), le besoin de données objectives et non biaisées pour s’assurer que la structure de rémunération soit équitable pour les gens de tous genres n’a jamais été aussi flagrant.
Footnotes
Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne ou ses filiales.
Intérêts concurrents: E.J. Harvey est cofondateur et responsable de l’innovation médicale de NXTSens Inc.; cofondateur et médecin-chef de MY01 Inc. et de Sensia Diagnostics Inc.; et cofondateur et directeur de Strathera Inc. Son établissement bénéficie du soutien de J et J DePuy Synthes, Stryker, MY01 et Zimmer. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
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