La conférence, bien qu’impromptue, s’annonçait déjà spéciale, mais elle a dépassé de loin les attentes de la faculté de médecine. Le major sir Frederick Banting, lauréat canadien du prix Nobel, en route pour la Grande-Bretagne, a profité de son passage pour s’adresser aux étudiants en médecine de l’Université Dalhousie. Après avoir travaillé avec le professeur Clarence Starr à l’Hôpital canadien d’orthopédie à Ramsgate, en Angleterre, durant la Première Guerre mondiale, et ensuite à l’Hôpital pour enfants de Toronto, en Ontario, Banting se voyait faire carrière en chirurgie orthopédique. Pourtant, il s’est plutôt consacré à la recherche en raison de la brillante réussite de son projet sur l’insuline, qu’il avait entrepris à la suite d’un ralentissement de sa pratique clinique, et est devenu directeur fondateur de l’Institut Banting and Best, établissement financé par l’État, à l’Université de Toronto. En 1938, Frederick Banting a réorienté sa carrière vers la médecine aéronautique, prenant la tête de la principale unité de recherche clinique de l’Aviation royale canadienne. Le 21 février 1941, 1 semaine après sa conférence à l’Université Dalhousie, Frederick Banting est décédé près de Musgrave Harbour, à Terre-Neuve, dans l’écrasement de l’avion qui devait le mener en Grande-Bretagne. Le Dr Louis Kristal (Dalhousie, 1943), qui célèbre cette année son 100e anniversaire, se souvient bien de la dernière conférence de Banting. Loin de s’empêtrer dans les platitudes sur l’honneur et le service, malgré la Croix militaire qu’il a reçue pour sa bravoure pendant la guerre, il s’est plutôt concentré sur l’influence du transport aérien sur la physiologie et la démonstration de la nouvelle combinaison de vol anti-gravité conçue par Wilbur Franks dans son unité de recherche.
Le Dr Kristal avait prévu s’enrôler à la fin de ses études, mais n’a pu le faire en raison d’une appendicite. Une fois rétabli, il a été rappelé à sa ville natale de New Waterford, en Nouvelle-Écosse, par le Dr David Hartigan. Ce dernier, député local qui avait fait partie du gouvernement de MacKenzie King, s’était servi de ses contacts pour que l’emploi de médecin minier du Dr Kristal soit déclaré essentiel à l’effort de guerre, prévenant ainsi toute nouvelle tentative d’enrôlement. Le Dr Hartigan en a profité pour enseigner la chirurgie au Dr Kristal.
En 1944, Richard Goldbloom, fils d’un professeur de pédiatrie à l’Université McGill, à Montréal, et brillant étudiant en médecine, a rencontré Ruth Schwartz et a scellé son destin, qui l’a arraché à son port d’attache pour l’amener à New Waterford, la ville natale de Ruth Schwartz, qu’il courtisait alors. Pour atteindre son but, il s’est organisé pour suivre un stage au cabinet du médecin de New Waterford, qui offrait des soins médicaux complets aux mineurs et à leurs familles dans le cadre d’un régime d’assurance familièrement appelé « Check-Off »1. Richard Goldbloom a décrit le Dr Kristal comme son « principal mentor » et le « chirurgien le plus compétent » de la ville2. Le Dr Kristal pratiquait la chirurgie générale (appendicectomie, ulcère gastro-duodénal perforé), l’orthopédie (réduction fermée de fractures et amputation), la gynécologie (curetage, hystérectomie, césarienne) et les traitements chirurgicaux de la tuberculose (pneumothorax) et de la diphtérie (trachéotomie). Le Dr Goldbloom raconte que les gens surnommaient le Dr Kristal le « coupeur de têtes », non seulement parce qu’il possédait des habiletés supérieures en chirurgie, mais aussi parce qu’il n’hésitait pas à faire des trépanations pour drainer des hématomes épiduraux. Un autre généraliste s’étant spécialisé en cours d’emploi, le Dr Joe Roach, s’occupait de l’anesthésie.
Après leur mariage, Richard Goldbloom et Ruth Schwarz se sont établis à Halifax, où ils ont eu une influence remarquable sur la communauté médicale, la province et le Canada. Pour sa part, le Dr Kristal a épousé Carmel, fille du Dr Hartigan et meilleure amie de Ruth Schwarz. En 1953, le Dr Kristal et sa famille ont passé 1 an à Montréal pour qu’il puisse mettre à jour sa formation chirurgicale à l’Hôpital Royal Victoria. Il raconte que durant cette période, il avait hospitalisé le Dr Wilder Penfield en vue d’une chirurgie relativement mineure. Après avoir procédé à la collecte des antécédents et à l’examen physique habituel, qui comprenait une évaluation complète du système nerveux, il a reçu des compliments pleins de gentillesse du Dr Penfield, qui l’a félicité pour sa rigueur. Le Dr Kristal n’a jamais fait l’examen d’agrément du Collège royal, contrairement au Dr Gerald LeBrun, éminent chirurgien généraliste d’Halifax3. La famille est ensuite revenue au Cap-Breton, où le Dr Kristal a continué d’exercer comme chirurgien généraliste pendant 10 ans, jusqu’à ce que l’avènement du régime public d’assurance-maladie entraîne la fin du système de contribution « Check-Off » et que l’accès à des chirurgiens agréés par le Collège royal sonne le glas de la chirurgie par les généralistes4. Fait intéressant, l’adoption au Parlement de lois visant à offrir un régime public de soins de santé au Canada fut guidée par feu Allan MacEachen, bon ami des Kristal, dont l’expérience personnelle du système « Check-Off » avait motivé le souhait de voir le système public devenir réalité5.
Après plus de 20 ans de travail à New Waterford dans un cabinet occupé aux enjeux élevés, le Dr Kristal a décidé de déménager à Brantford, en Ontario, et de devenir médecin de famille. Ironiquement, ses nouveaux collègues n’ont pas tardé à le persuader de suivre une formation en anesthésiologie à l’Hôpital St. Joseph, à Toronto, afin de compléter l’effectif d’anesthésistes de l’hôpital de Brantford. Il y a travaillé pendant 10 ans, jusqu’à ce que des anesthésiologistes agréés par le Collège royal y fassent leur entrée. À partir de 1974, le Dr Kristal a enfin pu se consacrer entièrement à la médecine de famille. Médecin très aimé, il a inspiré de nombreuses personnes de la région à choisir une carrière en médecine. Le Dr Kristal a fermé son cabinet 40 ans après ses études, mais est demeuré assistant en chirurgie et mentor jusqu’à 78 ans.
Quant au Dr Joe Roach, il a poursuivi sa brillante carrière à New Waterford jusqu’à un âge avancé6. Le Dr Richard Goldbloom, gentleman leader en pédiatrie au Canada, continue d’être une source d’inspiration pour les nouvelles générations de médecins à Halifax. Enfin, le Dr Gerald LeBrun est devenu doyen de la faculté de médecine de l’Université Dalhousie3. Pour terminer, le Dr Kristal s’est remémoré l’immense satisfaction ressentie lors d’une visite dans son vieux coin de pays. Il demandait des directions à un homme lorsqu’il a remarqué une cicatrice de trachéotomie à son cou. Plus de 30 ans auparavant, il avait sauvé la vie de cet homme, qui était alors un enfant atteint de diphtérie.
Par cet éditorial, le Journal canadien de chirurgie rend hommage à des médecins remarquables. Le Journal souhaite célébrer la vie et la carrière du Dr Kristal, témoin de l’évolution de la chirurgie générale et des spécialités chirurgicales au Canada. Nous souhaitons aux Kristal beaucoup de bonheur et de santé au cours de leur retraite, et sommes convaincus qu’ils continueront d’inspirer toutes les personnes qu’ils rencontrent.
Footnotes
Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne ou ses filiales.
Remerciements : L’information pour cet article a été aimablement fournie à l’auteur par le Dr Louis Kristal, sa conjointe, Carmel Kristal, et leur fille, Carrie Kristal-Schroder.
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.